ÊTRES ICI
Dans les paysages arides, presque hostiles, surgit une vibration, perceptible uniquement à celui qui s’abandonne à la contemplation. Une respiration discrète anime les creux de roche : c’est la vie qui résiste et attend le moment de danser. Au détour d’un regard, des formes apparaissent, bras, bustes, jambes — les corps se confondent avec la matière. Les Êtres-sculptures sont là, en fusion avec leur environnement, témoins silencieux d’une force de vie fragile mais tenace.
Le paysage devient refuge
Les Êtres paysage
Oasis sauvage
Manon Oller crée des paysages-habités. où l’intime s’enracine dans un espace — intérieur, mais toujours en dialogue avec ce qui l’entoure. L’installation est conçue comme une organisation spatiale sensible, une topographie du ressenti, où le regard se déplace autant que le corps. Le spectateur entre dans un monde minéral, façonné d’argile — matière vivante, humble et essentielle. Archaïque et intemporelle, fragile et durable, la terre porte la trace de la main, du feu, des silences. Par ce choix, l’artiste convoque un matériau ancestral et un savoir-faire séculaire avec une sensibilité profondément contemporaine. Ici, la terre n’est pas un simple support : elle est souffle, peau, abri. Ce monde, à la fois familier et irréel, convoque l’invisible.
Il interroge ce qui murmure en nous sans forme. Manon Oller le déploie comme une géographie intérieure, un paysage parallèle, perçu mais sans contours. Regarder l’horizon, c’est alors plonger en soi, découvrir l’immensité dans l’intime, et l’intime dans l’immensité. Les sculptures sont des carapaces, des grottes, des enveloppes protectrices incarnant une intimité primordiale où la part animale, vulnérable, peut se lover. La malice se glisse dans l’ambiguïté des formes, dont le pouvoir d’évocation trouble et n’est jamais tout à fait clos. Certaines se dressent comme des présences sacrées, d’autres conservent une forme d’espièglerie discrète, un jeu dans l’ambiguïté. Entre archaïsme et invention, elles tiennent à la fois du totem, de la coquille et du vestige.
On marche dans un désert chaud ou sur une île oubliée, les pieds ancrés dans le sol, les pensées ailleurs. Le panorama se fige en une vision : un monde à la fois ancien et à venir, où le souffle, la mémoire et la matière deviennent inséparables.
Au cœur de cette exposition, Manon Oller présente M-ONDES, une sculpture monumentale réalisée en résidence dans l’atelier du sculpteur Guy Bareff. Cette œuvre centrale naît d’un travail exploratoire qui incarne ses propres reliefs intérieurs.
Émergeant du sol, comme une vague fossile ou une dorsale terrestre, la forme sinueuse trace une ligne vivante et fluide, elle nous entoure. Elle évoque le temps et ses spirales : un mouvement ancien, toujours mouvant. Pensée pour accueillir les corps, cette vague creuse devient abri, ligne d’horizon à habiter.
La matière — argile, fragments, failles — révèle un récit en construction, une narration sensible faite de strates et de rencontres. La corde enlace certains fragments selon la technique du shibari réalisée par l’artiste : autant de nœuds d’une histoire que de gestes de réparation. Abri et espace protecteur, l’œuvre incarne une intimité primordiale où la vulnérabilité se love. Entre archaïsme et invention, cette forme convoque à la fois le totem, la coquille et le vestige.
Au sol, éparpillées dans l’espace comme des vestiges silencieux, se trouvent une série de sculptures hybrides — certaines mêlant terre et tissage. Ces artefacts, réalisés avec la complicité de la tisseuse d’art Laura Paula, convoquent des figures absentes, traces des Êtres disparus. Le tissage, lent et patient, ligne à ligne, se lie à la terre pour former une mémoire matérielle où chaque geste inscrit une présence. Ces formes, posées là comme des souvenirs en veille, semblent attendre qu’on les réveille.
Dans cette installation, pensée comme un théâtre du sensible, entre réel et imaginaire, la série de photographies — Les veilleuses — co-créées avec l’artiste Amandine Giloux vient en prolonger l’univers. Dans ces paysages habités, fragments de récits, les sculptures, corps et nature se mêlent. Un travail qui s’inscrit dans une forme de réalisme magique. Ce regard poétique sur le monde révèle l’extraordinaire au cœur même du connu. Le spectateur découvre ces images comme des archives ou des visions, on ne sait plus très bien si on regarde un vestige ou une apparition.
Juillet 2025
Activation des oeuvres et performance : Être mirages
Photographies portrait : Manon Bossard